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  • Photo du rédacteurCarolineSulzer

Les femmes et les enfants d'abord

Dernière mise à jour : 14 janv. 2022

15.20 Vendredi, Gare de Lyon à Paris. Après avoir pris un métro bondé puis un mauvais café acheté à prix d’or dans le hall 2, je joue des coudes à travers la foule des voyageurs agglutinés devant les portillons automatiques. Je présente mon pass sanitaire puis mon billet et rejoins la voiture 13 en me disant que cela me portera bonheur.


15.35, je m’affale plus que je ne m’installe dans mon fauteuil solo. Je me réjouis à l’idée d’avoir trois heures de trajet devant moi pour savourer ma série préférée du moment, Outlander, une histoire d’amour tout à fait plausible entre une Anglaise de la fin des années 40 et un guerrier écossais du milieu du 18ème siècle. Ils sont beaux, intelligents, ils s’aiment, le temps n’a pas de prise sur eux et ils sortent vivants et sans égratignures des incendies, guerres sans merci et autres ouragans au beau milieu de l’Atlantique. Bref, c’est génial.


17.00, dernier quart d’heure du deuxième épisode de la quatrième saison. L’héroïne, Claire, est en train de réaliser une opération à cœur ouvert sur une table de cuisine dans une plantation de tabac en Caroline du Nord en 1768. La tension est à son comble, je suis quasi en apnée, avide de savoir si le malade va éviter les risques de surinfection, l’arrêt cardiaque et les germes de la chirurgienne qui opère à mains nues en tablier de coton et robe à volants. Soudain, je sens une violente secousse. Non, le film n’est pas en 3 D donc, ce n’est pas une émeute au sein de la plantation. C’est bien moi qui ai été secouée dans le train qui file à grande vitesse vers Marseille. Je mets la série sur pause, je lève la tête, tout comme les 40 autres passagers de la voiture. Chacun y va de son hypothèse : « c’est bizarre, on a entendu des bruits de ferraille, comme si on avait heurté quelque chose ». « On a peut-être déraillé et frôlé une glissière en métal ? »


17.15 Le train s’arrête en rase campagne et nous sommes informés par haut-parleur que nous avons heurté un objet sur la voie. Soupir général. Un quart d’heure plus tard nous apprenons qu’il s'agit d’un accident impliquant une personne. Cri d’effroi général.

Sur notre gauche, arrivent des voitures de pompiers, le SMUR, le SAMU, les gendarmes.

Mes voisins partent à la voiture Bar avant que celle ci ne soit prise d'assaut et me proposent aimablement de me rapporter quelque chose. Je décline poliment puis, devant leur insistance, accepte une tasse de thé. Nous sympathisons, nous plaisantons malgré la situation qui n’a rien de drôle. Très vite nous comprenons que l’attente va être très longue. La nuit est tombée sur la campagne bourguignonne, d’après Google Maps nous sommes à Pouilly-en-Auxois.


18.30 Nous avions raison, la voiture bar a bien été dévalisée. Nous commençons à avoir faim et soif. Dommage que nous ne puissions pas quitter le train pour aller goûter la production locale. Les équipes de secours s’agitent toujours de l autre côté de la vitre, leurs combinaisons blanches fluorescentes brillent dans l’obscurité.


21.00 Nous sommes à l'arrêt depuis quasiment quatre heures. Les intervenants du SMUR traversent notre voiture dans un sens puis dans l'autre. Soudain, notre convoi s’ébranle. Soupir de satisfaction général. Nous roulons très doucement, pendant une quinzaine de minutes, et nous arrêtons en gare TGV de Montceau les Mines Le Creusot. Regards interloqués. Notre chef de bord prend la parole : nous allons devoir changer de train car le notre a été endommagé par l'impact. Quelqu’un remarque que nous avons sans doute percuté une personne dans sa voiture, ce qui expliquerait les bruits de ferraille et les dégâts importants. Je n’ose imaginer le spectacle. Suicide ou accident? Chacun y va de sa supposition, nous sommes tous des Sherlock Holmes en puissance. "C'est curieux, il y a des passages à niveaux pour les TGV ?". "Non, ce sont des ponts ou des tunnels" . "Et il n’y a pas une rambarde de protection? »


21.45, nous sommes 510 passagers sur le quai de la gare de Montceau les Mines Le Creusot et il pleut. Une bonne petite pluie de novembre, froide et pénétrante, qui vous glace les os malgré les manteaux les capuches et les bonnets. J’entends des voix s'élever derrière moi puis la foule s’écarte. Ce sont quarante enfants de maternelle qui rentrent de classe verte par notre TGV, accompagnés par leurs héroïques encadrants qui les font chanter et taper des mains. Je me demande ce qu’ils ont bien pu leur dire pour ne pas les traumatiser.


22.00 Nous montons dans un autre train spécialement affrété pour nous. On nous a demandé de reprendre nos places exactes, ce qui n’est pas simple puisque la composition du train ne correspond pas à celle affichée sur le tableau de la gare. Les gens râlent un peu mais pas trop. Nous nous installons tant bien que mal, je retrouve mes voisins d infortune.


22.30 Nous reprenons la route à faible allure. Le chef de bord nous informe que nous allons recevoir des plateaux repas mais qu’il n’y en a pas assez pour tout le monde. Ce seront donc les femmes, les enfants et les personnes âgées d’abord. Du coup, tous les hommes du wagon au-dessus de soixante ans espèrent qu’on ne leur donnera pas de plateau. Sans compter le caractère éminemment sexiste de la décision. J’en connais qui attaqueraient la SNCF pour discrimination pour moins que ça. Pour ma part, je suis bien contente avec ma salade de pâtes froides et ma compote donc pas de problème pour passer pour le sexe faible ce soir. Et je veux bien partager avec le sexe fort si besoin.

23.15. Le train s’arrête de nouveau dans la banlieue sud de Lyon. Le conducteur nous informe que le train devant nous a percuté un chevreuil. Et que donc nous sommes arrêtés pour une durée indéterminée. Éclat de rire (nerveux) général.


0.30 le train repart, à grande vitesse cette fois-ci. L’annonce par haut-parleur de l'arrivée imminente en gare d'Avignon me réveille à 1.55. Vingt minutes plus tard, nous atteignons enfin Aix-en-Provence avec sept heures et trente minutes de retard. Heureusement, ma voiture m’attend au parking et je n’ai pas à attendre un hypothétique taxi, comme des centaines de passagers moins chanceux.

Mes compagnons de voyage ne peuvent pas récupérer leur voiture de location pour poursuivre leur route jusque dans le Var comme prévu. Je les dépose à un hôtel en centre-ville et rentre chez moi.


3.00 Je me couche et ne trouve pas le sommeil. Je pense à une famille que je ne connais pas du côté de Pouilly-en-Auxois.




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