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  • Photo du rédacteurCarolineSulzer

Valentine au cinéma (première partie).

Dernière mise à jour : 14 janv. 2022


Berthe Morisot, Jeune femme à la toilette, 1875


Valentine s’installa devant sa coiffeuse et tenta de relever ses longs cheveux blonds en chignon. Elle dut s’y reprendre à trois fois avant d’obtenir le résultat escompté, qui lui donnait un air qu’elle jugeait « bien comme il faut » tout en laissant échapper quelques mèches rebelles. Satisfaite, elle y piqua en guise de décoration deux épingles en écaille, qu’elle tenait de sa mère et qu’elle réservait aux grandes occasions. C’est que cette soirée du 28 décembre 1895 était très spéciale, puisque c’était sa première sortie avec Georges, qui l’avait invitée à assister à un événement extraordinaire : la première projection publique du cinématographe à Paris, par les frères Lumière.

Valentine, elle-même préceptrice dans une famille aristocratique du huitième arrondissement, avait rencontré Georges – Monsieur Georges comme elle l’appelait – lors d’un spectacle de prestidigitation auquel elle avait amené sa jeune élève. Tout de suite, elle était tombée sous le charme du magicien, qui n’était autre que le directeur du théâtre Robert Houdin dans lequel il se produisait. Elle y était retournée quatre fois, seule, et avait fini par attirer l’attention de l’artiste.

Comme elle n’avait pas bien compris en quoi consistait ce fameux cinématographe, elle avait noté le mot et l’avait répété dix fois pour bien le mémoriser, il était important pour elle de bien réussir ce premier rendez vous avec Georges. Bien sûr, elle n’avait pas l’intention de se donner à lui lors de cette première soirée, elle était une honnête fille et pas une de ces gourgandines qui trainent dans les cabarets, la jarretière bien en vue et le cheveu en bataille. Mais peut-être lui autoriserait elle un chaste baiser lorsqu’il la raccompagnerait chez sa logeuse….

Tout en souriant à cette idée, Valentine se pinça les joues et se mordit les lèvres pour les rendre plus rouges, chaussa ses bottines fourrées et revêtit son manteau de laine. Elle quitta son appartement après avoir lancé un « je sors Madame Imbert, je rentrerai pour dix heures, ne mettez pas la chaine s’il vous plait », puis elle descendit en sautillant les trois étages étages qui la séparaient de la rue.

Georges l’attendait devant son immeuble, tout en bas de la rue de Richelieu, près de la place du Palais Royal.


- Dieu qu’il est beau, se dit la jeune femme tandis que son cavalier venait à sa rencontre, la moustache conquérante et le chapeau de haut de forme à la main.


L'homme s'inclina respectueusement :

- Mademoiselle Valentine, vous êtes plus radieuse que jamais !


- C’est que je suis tout heureuse à l’idée de savoir ce qu’est le cinématographe.

Valentine prit soin de bien détacher chaque syllabe, et accompagna son discours d’une petite révérence.


Bras dessus, bras dessous, Valentine et Georges prirent la direction du Grand Café, Boulevard des Capucines, où avait lieu la projection. Alors qu’ils remontaient l’avenue de l’Opéra, Georges vantait les mérites du Baron Haussmann, qui avait si bien aménagé le quartier.


- Voyez-vous, Mademoiselle Valentine, avant il y avait là un entrelacs de ruelles malodorantes, où régnaient la vermine et la saleté, qui ont été remplacées par de belles rues bien dessinées, toutes parallèles à cette large avenue que nous empruntons maintenant, et au bout de laquelle se dresse, majestueusement l’œuvre de M. Garnier, ce temple de la musique et de la danse.


- Monsieur Georges, vous parlez si bien, on dirait un professeur d’université.


- Vous êtes trop bonne, répondit Georges avec fausse modestie. C’est que je suis un homme de mon époque, moi, je crois en l’avènement du progrès et en l’éducation des foules. Un jour, nous connaitrons une société où tous mangeront à leur faim, sauront lire et écrire et auront le droit de vote, même les femmes !


- Monsieur Georges, ce n’est pas gentil de me faire marcher comme ça, et dire que pour un instant, je vous aurais presque cru, le gronda gentiment Valentine.


- Vous verrez, Mademoiselle Valentine, un jour j’aurai raison. Tenez, nous y sommes, poursuivit-il en s’arrêtant devant la devanture du Grand Café, où se pressait déjà un petit groupe.


À suivre....

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