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  • Photo du rédacteurCarolineSulzer

Le poulet


Michel Lambert est un homme méfiant, le genre de type à qui on ne la fait pas. Le réchauffement climatique ? La pollution ? Les pesticides ? Foutaises ! Il sait bien que ce ne sont que des discours alarmistes provenant d’un tas d’illuminés aux cheveux longs qui mangent des graines, et dont le seul but est de faire peur aux braves gens afin mieux les contrôler par la suite. Moins crédule que ses congénères, Michel ne va pas se laisser manipuler comme ça. Et ce ne sont pas ce gouvernement d’incapables ni les médias, qui sont à sa solde, qui vont l’empêcher de prendre tous les jours son 4x4 pour aller à la boulangerie à un kilomètre de chez lui, de tuer les mauvaises herbes dans sa pelouse au Round Up ni d’écraser ces saloperies d’abeilles qui lui pourrissent ses repas sur la terrasse en été.


Pas plus qu’il n’accorde sa confiance aux institutions ni aux journalistes, Michel Lambert a de sérieux doutes quant à l’efficacité des systèmes d’alarme, des sociétés de surveillance et, par extension des policiers. Il se demande même si ces derniers ne sont pas, la plupart du temps, de mèche avec les cambrioleurs, afin d’arrondir des fins de mois difficiles. Et puis, faut pas rigoler, le gars qui vient fixer des capteurs sur les portes et fenêtres, il doit bien savoir les désactiver, non ? Ce qui fait de ses clients une cible rêvée par la suite.


Pas question non plus d’emporter en vacances les bijoux de sa femme ni la montre de prix que les copains lui ont offerte pour ses cinquante ans. Il y a bien marqué sur la plaquette du Paradise Beach Resort que toutes les chambres sont équipées d’un coffre-fort, mais il ne faut pas le prendre pour une buse : c’est évident que les employés peuvent y avoir accès.


Lui, Michel Lambert, a trouvé LA cachette de génie : la veille de leur départ, il rentre chez lui et dépose sur la table un poulet cru sous plastique.


- Tu te mets à faire la cuisine, maintenant ? s’étonne sa femme Chantal.


Michel hausse les épaules :


- Tais-toi et admire !


Tout en parlant, il sort la volaille de son emballage et lui enfourne dans le croupion une pochette de velours noir contenant sa montre, le collier de perles fines de la grand-mère de Chantal, la bague de fiançailles en diamant, un joli bracelet en or dix-huit carats et une paire de boucles d’oreilles en émeraudes. Puis, il remet le poulet dans la barquette et place le tout au congélateur.


- Ils iront jamais chercher là, ou je bouffe mon chapeau !

- Mais tu ne mets jamais de chapeau !

- Oh la la, c’est une expression ! Ce que tu peux être bête, parfois, ma pauvre Chantal !


Puis, tout en l’embrassant sur le front :


- C’est pas grave, va, puisque je suis intelligent pour deux.


Le lendemain, le couple part en voyage pour la Martinique, après avoir laissé les clés de la maison aux voisins, les seuls à qui Michel fait confiance, afin qu’ils viennent nourrir le chat.



Deux semaines plus tard, Michel et Chantal Lambert reviennent de leur séjour, enchantés. Bronzés et le cœur léger, ils ouvrent leur porte d’entrée, et trouvent une feuille A4 pliée en deux sur le carrelage :


Chers voisins, nous savons que vous revenez aujourd’hui. Nous vous invitons à boire un verre pour fêter votre retour et à manger un morceau car votre congélateur est vide.

À tout à l’heure,

Nicole et Jean-Jacques


- Comment ça, le congélo est vide ? s’exclame Michel.


Il se précipite dans la cuisine et trouve en effet le réfrigérateur et le congélateur grand ouverts, éteints, avec des torchons au-dessus des portes pour qu’ils ne se referment pas. En panique, il se rue sur son IPhone et cherche le numéro du voisin dans ses contacts. Ses doigts tremblent sur le clavier, il doit s’y reprendre à deux fois :


- Qu’est-ce que qui s’est passé avec mon frigo ? hurle-t-il dans le téléphone, sans même saluer son interlocuteur.


L’autre, un peu étonné, lui répond :


- Ah, bonjour Michel, je vois que tu es rentré. Figure-toi qu’il y a eu une panne de courant dans le quartier pendant votre absence, un truc de dingue, ça a duré deux jours. On est venus prendre ce qu’il y avait dans votre congélo et on a tout mis chez la mère de Nicole, pour que ça ne se perde pas.


Tout en imaginant son poulet, le croupion farci d’or et de diamants, dans la cuisine de la mère de Nicole, Michel tente de garder son calme et de faire bonne figure :


- Ouf, tu me rassures. C’est sympa de votre part. On va aller chercher tout ça ce soir.


- Ok, je te donne l’adresse par sms. Ensuite, on vous attend pour l’apéro, vous nous montrerez vos photos de vacances. Ah oui, j’oubliais, il y avait un poulet dans ton congélo qui ne sentait vraiment pas bon, alors on l’a mis dans un sac et on l’a directement jeté dans le camion-poubelle pour que vous n’ayez pas les odeurs en rentrant!



Merci à mon amie Hélène Baronnier pour m'avoir raconté ce fait divers, bien réel, et dont les victimes étaient sans doute beaucoup plus sympathiques que le héros de cette petite histoire.



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