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  • Photo du rédacteurCarolineSulzer

Histoire d'un petit marin breton, suite et fin.

Une fois la joie des retrouvailles passée, il fallut rapidement trouver une occupation à Fanch-Ronan qui, à presque treize ans, ne pouvait se contenter d’être juste une bouche à nourrir. Plus question pour lui de partir au long cours sur un terreneuva, au grand soulagement de sa mère. Mais il n’était pas assez costaud pour le travail dans les champs ou dans les nombreuses carrières de schiste qui faisaient la renommée du village. Alors, il entra comme commis au service du recteur de la paroisse, en échange d’une modeste rétribution et d’un repas chaud par jour.

Très vite, l’homme d’église décela chez le jeune homme une intelligence hors norme et il s’en ouvrit à Marie-Josèphe, un dimanche après l’office :

—Ton fils m’est d’une aide précieuse, mais il n’est pas à sa place dans ma sacristie. Il devrait aller à l’école pour apprendre ses lettres et la mathématique.

—C’est que, je n’ai pas les moyens de le nourrir s’il ne travaille plus chez vous, Monsieur le Recteur, répliqua la jeune femme, tout en triturant les cordons de sa coiffe, comme à son habitude lorsqu’elle était gênée ou intimidée.

—Je sais, mon enfant, je sais. Voilà ce que je te propose : tu l’envoies à l’école et, de mon côté, je continue de le nourrir une fois par jour, comme ça, il ne sera pas une charge pour toi.


Confirmant le sentiment du recteur, Fanch-Ronan se montra un élève brillant et attentif. En quelques mois seulement, il apprit à lire, à écrire et à compter ; impressionné, son instituteur le proposa comme boursier auprès du Ministère des Instructions publiques, des Beaux-Arts et des Cultes, qui cherchait à franciser les populations bretonnes récalcitrantes à l’idée d’abandonner leur langue. Fanch-Ronan fut reçu haut la main et se vit proposer une place comme interne au Petit Séminaire de Quimper, qui ouvrait aussi ses portes à de jeunes laïcs. Marie-Josèphe dut se résigner, une fois de plus, au départ de son fils, mais sans trembler cette fois car elle le savait en sécurité.

Le jeune homme reçut pendant quatre ans une éducation classique, essentiellement littéraire et humaniste. Les professeurs, tous ecclésiastiques, enseignaient en français, mais, par amitié pour leurs élèves, disaient la messe en breton, au mépris des recommandations de l’État. Tous les ans, les jeunes gens retournaient dans leurs familles pour deux mois, entre fin juillet et début octobre, ainsi que trois semaines à Pâques, mais pas à Noël, qu’ils devaient célébrer à la pension. Au Petit Séminaire, Fanch-Ronan se fit des amis pour la vie, et notamment Léon Le Dantec, un Rennais orphelin de père, comme lui.

En juillet 1877, il revint dans son village natal auréolé de gloire, son baccalauréat en poche. Fiers de leur ancien protégé, le Recteur et l’instituteur organisèrent dans le jardin du presbytère une petite fête en son honneur, avec force cidre et galettes de blé noir. On pouvait voir le rose monter aux joues de Marie-Josèphe, émue par tant de réussite, mais aussi peinée que son défunt époux ne puisse partager sa joie. Elle était certaine que son fils avait désormais le plus beau des avenirs devant lui.

Elle ne se trompait pas. Fanch-Ronan s’inscrivit, en automne, à la Faculté de Rennes, pour y suivre des études d’histoire. Il finança sa scolarité en travaillant comme répétiteur auprès de familles aisées et fut hébergé, la première année, par son ami Léon, dont il partageait la petite chambre sous les toits. Peu fortuné, il mena une vie studieuse, parfois égayée par une sortie entre étudiants dans le quartier de la Rue de la Soif, lorsqu’il avait réussi à économiser quelques francs ou, les bons mois, une pièce de cent sous. Ce furent malgré tout de belles années, pendant lesquelles il fit la connaissance de Katell, la petite sœur de Léon, dont son ami lui avait tant parlé lorsqu’ils étaient ensemble au Petit Séminaire. D’un naturel romantique, il en tomba vite amoureux et lui déclara sa flamme, un soir timide de mars 1880, sur un banc du Parc du Thabor, alors que Léon restait à quelques mètres de là, en chaperon discret et compréhensif. Les jeunes gens se marièrent en septembre de la même année en l’église Saint-Pierre-Saint-Étienne de Rennes, sous l’œil humide de Marie-Josèphe, qui avait fait le déplacement en charrette depuis le Trégor pour l’occasion. Elle aurait préféré que l’union se fasse en l’église de Locquirec, suivie d’un banquet traditionnel où l’on aurait servi du cidre et du kig ar farz, mais la fiancée tenait à se marier dans la paroisse de son enfance. Marie-Josèphe se consola en se disant qu’on organiserait les baptêmes des enfants à venir dans son village, pour compenser.

Terrassée par une apoplexie un an plus tard, au trop jeune âge de 43 ans, elle n’a jamais connu ses trois petits-enfants, une fille et deux garçons. Elle n’a jamais su que son fils chéri était devenu professeur d’histoire à Pontivy, tout en menant une carrière d’écrivain reconnu. Pas plus qu’elle ne l’a vu prendre sa retraite dans la petite maison au bout de la jetée de Locquirec, village de son enfance dont il fut le maire entre 1928 et 1935, avant de disparaître en 1937. En souvenir de son mandat et du rayonnement de son oeuvre littéraire, la mairie du village prit, d'ailleurs, à la fin des années 90, pour nom Bilzig, en référence au héros le plus célèbre né sous la plume de Fanch-Ronan.


Jolie revanche sur le destin de la part d’un petit marin breton malade en mer.




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