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Photo du rédacteurCarolineSulzer

Valentine au cinéma (suite et fin)

Dernière mise à jour : 14 janv. 2022


Les portes s’ouvrirent et le couple se dirigea vers le Salon indien, au sous-sol, où plusieurs dizaines de chaises tapissées de velours rouge étaient disposées sur quatre rangées face à un grand carré de soie blanche. Alors que Valentine enlevait son manteau et disciplinait les plis de sa robe, Georges admira la taille fine et les hanches galbées de la jeune femme. Il remarqua également les regards appuyés des autres hommes sur sa compagne et se rengorgea, fier d’être vu au bras de ce beau brin de fille.

Après qu’une trentaine de personnes eurent pris place, Louis Lumière fit face aux spectateurs et livra un petit discours d’introduction :


- Mesdames et messieurs, c’est pour mon frère Auguste et moi-même un honneur et un plaisir de vous proposer ce soir la première projection publique du cinématographe, et nous vous remercions chaleureusement pour votre présence. Vous allez vivre une expérience unique, qui, nous l’espérons, marquera vos mémoires et vos esprits. Pour la première fois, vous verrez des gens comme vous et moi se mouvoir sur cet écran devant vous. Leurs gestes sont maintenant imprimés à jamais sur ce que nous appelons une pellicule et, ainsi, nous pourrons montrer aux générations futures ce qu’était la vie en 1895 ! Vive la technique, vive le cinématographe !


Après quelques applaudissements, le noir se fit dans la salle. Légèrement apeurée, Valentine se serra contre Georges, qui, ravi, lui prit la main d’un geste protecteur. Un gros ronronnement se fit alors entendre derrière eux, alors que sur le carré de soie s’inscrivait en lettres noires tremblantes : « La sortie des usines Lumière ». Sous les yeux ébahis des spectateurs, les personnages se mirent soudain en mouvement pendant un peu moins d’une minute. Suivirent neuf autres projections d’une durée similaire, tels « Le Bain de Mer » ou « Le Repas de bébé » qui, à chaque fois, montraient des scènes animées de la vie quotidienne. L’apparition soudaine de la locomotive notamment en effraya plus d'un, qui eurent l’impression que la machine sortait de l’écran pour se diriger droit sur eux.


A l’issue de la séance, à l’instar des autres spectateurs, le couple resta silencieux quelques secondes, encore sous le choc de la prouesse technique à laquelle il venait d’assister. Puis ce fut un tonnerre d’applaudissements, la salle était debout, les bravos fusaient, les hommes agitaient leurs chapeaux, les femmes s’éventaient avec fébrilité, vaincues par l’émotion.


Emportée par sa joie, Valentine se jeta au cou de Georges et le gratifia d’une bise sur la joue :


- Monsieur Georges, vous m’avez offert la plus belle soirée de ma vie, le remercia-t-elle chaleureusement, tout en rougissant de son audace.


- Mais la soirée n’est pas terminée ma chère, lui répondit Georges, tout en la serrant à la taille et j’ai bien l’intention de vous emmener souper dans la salle au-dessus de nos têtes, ou j’ai réservé une table. Mais avant, si vous m’en donnez la permission, je souhaiterais m’entretenir quelques instants avec MM. Louis et Auguste Lumière.


- Mais bien volontiers, acquiesça Valentine, se disant qu’elle en profiterait pour arranger sa coiffure aux lavabos.


Georges alla à la rencontre des frères Lumière qui, à l’entrée du Salon indien, recevaient les félicitations des spectateurs. Il serra chaleureusement la main des deux frères :


- Chers amis, je manque de mots, je suis positivement emballé ! Je vous tire mon chapeau pour cette belle invention qui se veut le reflet de notre époque moderne et progressiste. Et il joignit le geste à la parole.


- Ah Méliès, vous voici. Merci d’avoir répondu à notre invitation. Je suis ravi que cela vous ait plu, rétorqua Louis Lumière. Nous ne manquerons pas d’organiser d’autres projections dans les mois à venir et il ajouta, dans un sourire : vous pourrez continuer d’y emmener vos conquêtes féminines.

- Certes, certes, mais avant de prendre congé, je voudrais vous faire une offre. Je pourrais faire très bon usage de votre invention lors de mes tours de magie qui, comme vous le savez, attirent le tout Paris. Et on pourrait même y raconter des histoires, un peu comme au théâtre, avec des comédiens professionnels. Que diriez-vous de me vendre votre brevet ?

- Désolé, Georges, nous ne sommes pas vendeurs, répliqua immédiatement Auguste.

- Voilà un refus bien rapide, pourquoi ne pas réfléchir à ma proposition quelques jours ?

- C’est tout réfléchi, cher ami, et d’ailleurs, vous pouvez me remercier car je vous évite la ruine. Cet appareil est à vocation scientifique seulement et n'a aucun avenir commercial, répondit Auguste Lumière, d’un ton sans appel. Non, c’est certain, le cinématographe n’intéressera jamais qu’une poignée d’avertis et pas le grand public.


N.B. Hormis la relation entre Valentine et Georges, cette histoire est vraie. Auguste Lumière a bien refusé de vendre son brevet à Méliès, pour les raisons invoquées dans le texte. Têtu, Méliès acheta ensuite le procédé de l’Isolatographe des Frères Isola et le projecteur Theatograph commercialisé à Londres par son ami Robert William Paul. Visionnaire, il fonda sa propre société de production, La Star Film, en 1896, puis le premier studio de cinéma dans sa propriété de Montreuil en 1897.


Le 7 DÉCEMBRE 1953, Georges MELIÈS évoqua à la radio ses premiers contacts avec Louis LUMIÈRE alors qu'il était encore magicien. Puis il décrivit la première séance du cinématographe et la très forte impression que cela lui fit. On peut retrouver ce témoignage fort émouvant sur le site : www.ina.fr

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